Raymond Aron - "Paix et Guerre entre les Nations" Calmann-Lévy 1962,1984
Page 346 - Chapitre XII - Les racines de l'institution belliqueuse -
" Si les conflits entre groupes, à l'intérieur des unités politiques, se règlent normalement (1) sans que les adversaires aient recours à la violence, ce n'est pas que les inimitiés entre concitoyens, partis rivaux ou provinces soient plus rares ou plus faibles ( les guerres civiles sont souvent les plus féroces ), c'est que les relations entre les membres d'une même collectivité sont soumises à des normes, coutumières ou légales, qu'une autorité légitime est reconnue par tous, qu'une certaine conscience de solidarité unit malgré tout les adversaires, qu'une force supérieure, celle d'une armée ou d'une police, s'imposerait irrésistiblement en cas de besoin.
Qu'une seule de ces conditions vienne à manquer et la violence risque de faire irruption.
Certes, il arrive que la conscience de solidarité suffise à maintenir la paix ou le respect des lois et de la légitimité. Mais il arrive aussi qu'une minorité se sente à tel point atteinte dans ses intérêts, son idéal ou son existence même que rien, sinon la force, ne puisse la ramener à l'obéissance.Si tels sont les principes de la paix civile, rien n'est plus intelligible que le caractère endémique des conflits violents entre les unités politiques. Celles-ci n'ont pas ou n'ont que très faiblement conscience de leur solidarité. Elles n'acceptent ni loi commune ni autorité légitime. Chacune ayant son armée, elles ne peuvent être contraintes que par la guerre et non par une action de police.
Bien plus, à travers les siècles, les hommes ont exalté l'indépendance de la cité comme un bien suprême, chanté les héros morts pour la sauver. Le bien pour lequel les cités combattaient n'était pas toujours un bien rare, dont le partage par compromis est possible; il était parfois un bien qui ne se partage pas, l'autonomie et la gloire.
A l'intérieur des cités, la socialisation multiplie les occasions, les enjeux, les motivations des conflits interindividuels et intergroupes, mais elle multiplie aussi les instruments des solutions non violentes. Entre les cités, elle multiplie occasions, enjeux et motivations de conflit mais sans aucune contrepartie.
Tout au contraire, les hommes ont pensé, agi, parlé au cours des siècles comme s'ils jugeaient le règlement par les armes des conflits internationaux comme à la fois raisonnable et grandiose.
""(1) Normalement, selon l'esprit des institutions. Mais, nous l'avons vu au chapitre précédent, les troubles intérieurs ne sont pas toujours moins fréquents ou moins graves que les guerres."
- ps: lire l'ensemble de l'ouvrage serait infiniment plus enrichissant et montrerait dans sa totalité la puissance de réflexion