Le faux prétexte de la Charia
Le Coran et la Charia font, donc, loi. Fondamentalistes radicaux et modérés sont, en majorité, satisfaits. Comme l’ont rappelé certains, ce Code est destiné à protéger les familles, non les femmes ! On s’interrogera cependant sur un point : pourquoi encenser la loi religieuse, quand il s’agit du statut personnel des femmes, et la bafouer pour d’autres dogmes : en Algérie, on ne coupe, heureusement, plus les mains aux voleurs, on ne fouette plus les maris infidèles depuis longtemps, sanctions pourtant préconisée par les textes ! Paradoxalement, l’Algérie est aussi l’un des rares pays musulmans où aucune fonction n’est interdite aux femmes. Enseignantes, juges, médecins, politiques... L’espace public leur est ouvert. Ce qui, associé à un code de la famille passéiste, rétrograde et injuste, conduit à des situations grotesques : une femme magistrat, qui condamne aujourd’hui un délinquant en fonction d’une loi civile, devra, peut-être demain, se prononcer sur une répudiation ou un cas de polygamie au regard de la loi religieuse. Et la même femme, dont on reconnaît la compétence et l’indépendance dans le monde professionnel, devra pourtant obtenir l’autorisation d’un tuteur pour pouvoir se marier !
L’incertitude marocaine
Un an après le vote d’une réforme de la Mudawwana (Code du statut personnel) voulue par Mohammed VI, le Maroc fait son premier bilan. Le nouveau texte, qui rend les femmes égales des hommes sur le plan juridique, avait été accueilli favorablement par tous les partis politiques. Les fondamentalistes, après les attentats de Casablanca de mai 2003, gardaient profil bas, après voir, quatre ans plus tôt, repoussé une première tentative de réforme. Comparables aux amendements algériens, les modifications marocaines vont pourtant un peu plus loin. S’y ajoutent la suppression du tutorat, la co-responsabilité parentale, le principe de séparation des biens du couple et l’abrogation du principe de l’obéissance de l’épouse. Comme en Algérie, le souverain chérifien a pris soin de valider chaque modification du texte fondateur de 1957 par un verset du Coran. Commandeur des croyants en tant que descendant du Prophète, il a rappelé qu’il ne pouvait rendre licite ce qui est interdit par le coran ou rendre illicite ce qui y est autorisé. C’est pourquoi les conditions d’héritage, par exemple, n’ont pas été modifiées et la polygamie, comme la répudiation, restent possibles sous conditions.
Enthousiastes il y a un an, les féministes du Royaume sont aujourd’hui désappointées. Les mentalités sont plus difficiles à transformer que les lois. L’application des nouveaux droits des femmes se heurte à une tradition millénaire de tutelle masculine. D’une part, parce que les femmes n’osent pas revendiquer leurs droits : plus de la moitié de celles qui ont demandé le divorce, depuis janvier 2004, ont renoncé, en même temps, à leurs droits de garde et de pension alimentaire. D’autre part, parce que le pouvoir d’appréciation de la magistrature marocaine, masculine dans sa majorité et connue pour son traditionalisme, semble encore trop étendu. Depuis la promulgation du nouveau code, 80 % des demandes d’autorisation de polygamie ont été validées par les juges.
La Tunisie, paradis féminin ?
Reste la Tunisie, qui fait figure d’exception au Maghreb, comme dans l’ensemble du monde arabe. Quelques mois après l’indépendance, en 1956, le Chef de l’Etat, Habib Bourguiba fait promulguer un Code du statut personnel, révolutionnaire pour l’époque. Toujours en vigueur et même constitutionnalisé en 1991, le texte interdit la polygamie et la répudiation, autorise le divorce et reconnaît la filiation maternelle. Mais la modernité tunisienne, si ancienne soit-elle, reste souvent circonscrite aux zones urbaines. Allez donc convaincre une campagnarde de divorcer d’un époux qui la bat ! Le droit à l’égalité ne la génère pas. Avec ou sans tissu législatif favorable, une femme divorcée ou une mère célibataire restent encore, en Tunisie et a fortiori au Maghreb, sujette à l’opprobre et au déshonneur.